mardi 24 février 2015

Une réponse au questionnaire du synode sur la famille

QUESTION 1/8 Comment faire comprendre que le mariage chrétien constitue une expérience de plénitude, et non pas une limite ? Quelles sont les initiatives pastorales qui vous semblent intéressantes en ce sens ?
TEXTE DE REFERENCE : N° 36 – Du point de vue religieux, le mariage est une vocation Le mariage chrétien est une vocation qui s’accueille par une préparation adéquate au long d’un itinéraire de foi, avec un discernement mûr, et qui ne doit pas seulement être considéré comme une tradition culturelle ou une exigence sociale ou juridique.

R/ Pour faire comprendre que le mariage est une vocation, il faut admettre l'égale dignité entre les différentes vocations auxquelles peuvent être appelés les baptisés. Donc ne pas faire de hiérarchie explicite ou implicite entre vocations religieuses et/ou presbytérales, et vocations au mariage. Cela ne relève en aucun cas d'une quelconque faiblesse spirituelle que de se marier.
Au niveau théologique, il y aurait à creuser plus encore les images bibliques des épousailles entre Dieu et son peuple, entre Dieu et l'Humanité. Les époux pourraient être envisagés comme configurés à Dieu dans leur engagement mutuel. Il n'y aurait pas à configurer plus particulièrement l'époux masculin à la figure divine, puisque dans les images des épousailles, Dieu prend souvent des attributs féminins (utérus qui se contracte, etc.). Ces images des épousailles divines vis-à-vis de l'Humanité seraient par ailleurs un soutien spirituel pour les couples, pour apprendre la patience, la miséricorde, le pardon...
Au niveau de l'engagement caritatif/social de l’Église, la prise au sérieux de ce que le mariage est pleinement sacrement, c'est à dire signe de l'amour de Dieu, devrait pousser nombre de chrétien à s'opposer aux formes sociales qui nient le plus radicalement l'amour gratuit et réciproque du Cantique des cantiques. Il s'agirait donc de s'opposer à toutes formes de prostitution, à l'instar de la vie prophétique d'Osée. Comme Saint-Ignace, en la Maison Sainte-Marthe à Rome, accueillir les personnes prostituées pour leur donner la liberté de sortir de la prostitution. Comme Saint-Augustin au sermon de Bulla Regia, exiger des clients de la prostitution à cesser de l'être.
Au niveau de la préparation au mariage, il s'agirait en toute logique de présenter et concevoir la préparation au mariage comme un parcours de foi. Avec plusieurs difficultés :
  1. que l’Église ne se mette pas en position d'apprendre unilatéralement aux fiancés ce qu'est la foi. S'il on prend au sérieux le fait que l'amour entre deux humains est signe d'amour de Dieu, il faut admettre que dans l'amour que ressentent ces êtres, Dieu précède l’Église et son discours. Il y a du Cantique de cantiques en chaque couple d'amoureux. Il y aurait donc une dimension importante de relecture de vie. L’Église aurait donc à prendre plus conscience qu'elle peut être évangélisée par le témoignage des couples mariés. Il y aurait à inventer des moyens (rites ? Rencontres ? ) pour laisser manifester ce qu'expérimentent de la foi et de l'amour les couples engagés dans cette vocation particulière.
  2. Que l'articulation entre foi ecclésiale et amour dans le couple ne se fasse pas que sous forme intellectuelle, afin de ne pas mettre de côté celles et ceux pour qui cette manière de communiquer leur expérience intime n'est pas la plus spontanée. Inventer, ou renouveler donc des manières de manifester comment l'amour humain est à l'image de l'amour divin, par des célébrations, des chants, des chorégraphies, etc.
  3. ne pas avoir une vision magique et ponctuelle du sacrement. Le sacrement du mariage, si on prend au sérieux tous ce qu'implique ce que l'on signifie par là, dure autant de temps que s'aiment les époux, par les différents moyens par lesquels ils manifestent l'un à l'autre leur amour. Peut être y aurait-il des parallèles à faire entre le sacrement de communion, qui se renouvelle à chaque eucharistie, et le sacrement du mariage. Réfléchir aussi au lien entre la parentalité et le sacrement du mariage. Quel renouvellement de ce qui a été vécu le jour de la cérémonie du sacrement, que de vivre dans sa chair la fécondité ! Quel autre aspect de l'amour divin s'incarne quand on accueille sans condition un être dont on ne sait rien, et qu'on aime sans preuve de ce qu'il sera...
En conclusion à cette question, il y aurait à revisiter le sens du mot « fidélité ». Le débarrasser de sa sclérose autour de l'idée d'un engagement névrosé à n'avoir de relation sexuelle qu'avec une seule personne, pour retrouver son lien étymologique avec la Foi, donc un engagement à se fier à un(e) autre.


QUESTION 2/8 Quelles difficultés percevez-vous dans les familles proches de vous ? L’Eglise accueille-t-elle ces difficultés et de quelle manière ? Comment l’attention particulière de la part de l’Eglise envers les familles monoparentales peut-elle être perçue ?
TEXTE DE REFERENCE : N° 6 – Facteurs de pauvreté Il existe … une sensation générale d’impuissance vis-à-vis de la situation socio-économique qui finit souvent pas écraser les familles. Il en est ainsi à cause de la pauvreté et de la précarité de l’emploi qui ne cessent d’augmenter et qui sont parfois vécues comme un véritable cauchemar, ou bien à cause d’une lourde fiscalité qui n’encourage certes pas les jeunes à se marier. Souvent les familles se sentent abandonnées à cause du désintéressement et de la faible attention que leur accordent les institutions.


R/ Il y aurait beaucoup de chose à distinguer. D'abord quand on parle « d’Église ». Il y a l’Église perçue par « les gens ». Chacun pouvant avoir un vécu différent : Église telle que représentée par les média ; Église-hiérarchie ; Église communauté locale de chrétiens... Les communautés chrétiennes sont en général accueillantes, compréhensives et compatissantes pour le vécu particulier de celles et ceux qui sont proches. La hiérarchie cléricale est traversée par des contradictions fortes, entre accueil et intransigeance imbécile, avec toutes les nuances intermédiaires. Le discours ecclésial relayé par les média donne une image d'intransigeance, favorise l'idée que la pratique catholique s'articule autour d'une exigence de conformité à un idéal sexuel unique (ou double s'il on y ajoute l'alternative du célibat consacré). Or, s'il s'agit de préserver l'apparence d'une telle exigence, seule certaines catégories sociales en ont à la fois le loisir, et l'intérêt matériel. Il en découle que l'adhésion à ce discours se rencontre essentiellement dans ces milieux (avec toutes les hypocrisies qui ont tant alimenté la littérature). En effet, le lien est rarement fait parmi les chrétiens entre les difficultés économiques au quotidien, en particulier la précarité, et la difficulté de rester stable pour un couple (pourtant de toutes les cartes démographiques publiées par E. Todd et H. Le Bras, dans le « mystère français », la plus forte corrélation spatiale se trouve entre la carte du chômage et la carte des familles monoparentales). On assiste alors à une disjonction des engagements, où les uns s'engagent « pour les familles », et les autres s'engagent « pour les pauvres ». Ces deux dernières années, on a assisté en France a un véritable paroxysme dans cette schizophrénie ecclésiale entre « chrétiens de gauche » et « chrétiens de droite ».
Il y aurait peut être un renversement des valorisations familiales à opérer. Relativiser l'exemplarité des couples stables, qui le sont souvent plus pour des raisons de patrimoine ou de représentation sociale que par sincère amour et fidélité. Et reconnaître les combats spirituels sincères et valeureux que mènent celles et ceux qui sont dans des situations de vie difficiles, et qui pourtant aiment et croient en l'amour, « même mal ». Ces derniers sont souvent dans la situation paradoxale de manifester une foi ferme, malgré les épreuves, mais d'être considérés, et souvent de se considérer eux-mêmes, comme des gens de mauvaise vie, sans grandeur...

Une tentation guette la société toute entière, qui n'est perçue dans sa cohérence ni par les « chrétiens de gauche », qui luttent contre l'idolâtrie de l'argent-roi, ni par les « chrétiens de droite », qui luttent contre l'idolâtrie du sexe-roi. C'est la tentation de la prostitution généralisée, qui aimerait réduire chaque être humain à un individu-marchandise-consommateur. Il s'agirait de lutter de manière cohérente, à la fois contre le cynisme qui réduit chacun à son rôle économique, et contre le cynisme qui nie et discrédite la possibilité d'un amour gratuit et altruiste dans un couple, et qui fait l'apologie du prédateur sexuel prétendu « libertin ».


QUESTION 3/8 L’Eglise manifeste-t-elle de l’estime envers les différentes formes de relation en dehors du mariage chrétien ? Pour ceux qui vivent des formes de relations autres que le mariage, comment l’Eglise peut-elle révéler cette « divine pédagogie » (n°25) et reconnaître que la grâce de Dieu opère aussi dans leur vie.
TEXTE DE REFERENCE : N° 22 – Le mariage comme le bien suprême de toutes cultures et religions ; respect des dif-férentes forces culturelles Le Concile Vatican II a voulu exprimer son appréciation du mariage naturel et des éléments valables présents dans les autres religions (cf. Nostra Aetate, 2) et dans les cultures, malgré les limites et les insuffisances (cf. Redemptoris Missio, 55). La présence des semina Verbi dans les cultures (cf. Ad Gentes, 11) pourrait aussi être appli-quée, par certains aspects, à la réalité du mariage et de la famille de nombreuses cultures et de personnes non chrétiennes. Il existe, par ailleurs, des éléments valides aussi dans certaines formes se situant hors du mariage chrétien – mais toujours fondé sur la relation stable et vraie entre un homme et une femme -, que nous considérons, quoi qu’il en soit, comme étant orien-tées vers lui. Le regard tourné vers la sagesse humaine des peuples et des cultures, l’Église reconnaît aussi cette famille comme la cellule de base nécessaire et féconde à la coexistence humaine. N° 25. Dans l’optique d’une approche pastorale envers les personnes qui ont contracté un mariage civil, qui sont divorcées et remariées, ou qui vivent simplement en concubinage, il revient à l’Église de leur révéler la divine pédagogie de la grâce dans leurs vie et de leur aider à parvenir à la plénitude du plan de Dieu sur eux. En suivant le regard du Christ, dont la lumière éclaire tout homme (cf. Jn 1, 9 ; Gaudium et Spes, 22), l’Église se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de manière incomplète, tout en reconnaissant que la grâce de Dieu agit aussi dans leurs vies (…).



En méditant la guérison du serviteur du centurion, on pourrait envisager une conversion encore plus radicale. Il ne s'agit pas de juger quelle est la proximité des uns ou des autres vis-à-vis de l'idéal que Dieu a prévu pour eux. Il s'agit plutôt de se laisser émerveiller par ce que Dieu manifeste déjà dans ce que vivent les uns ou les autres. « Jamais en Israël, je n'ai vu une telle Foi », a déclaré Jésus à propos du centurion. Pourtant, quelle pouvait être au juste la forme d'amour qu'éprouvait ce centurion pour son esclave, dans le contexte de la romanité de la partie hellénisée de l'Empire ?
Si l’Église a l'intention de révéler une « divine pédagogie », elle doit se mettre humblement à son école. L'enjeu dans les relations humaines comme le mariage, mais comme le célibat consacré, ce n'est pas la forme des relations, c'est le chemin de Foi que ces formes autorisent. Comment apprend-on à mieux se fier à Dieu et à son prochain dans ces voies respectives ? Comment apprend-on à mieux aimer ? Comment se rend-on disponible à la miséricorde de Dieu comme à celle de ses proches ? Comment apprend-on soi-même à être miséricordieux ? Comment apprend-on, en somme, à vivre dans la Foi ? Il y a hors du mariage et hors de l’Église nombre de nos proches qui vivent la Foi par certains côtés mieux que nous. Le dire et le reconnaître ne relativise en rien le mariage et sa dimension sacramentelle. Pas plus que reconnaître la dimension sacramentelle de l'ordre dans le célibat ne diminue celle du mariage. Rentrer dans cette logique supposerait de rentrer dans une pratique forte de la lecture « des signes des temps ». Il ne s'agirait pas pour autant d'être sans exigence, « béni-oui-oui ». Si une Foi authentique peut se manifester hors des cadres reconnus par la Tradition, les dangers du péché y sont aussi présents. Mais ces dangers sont autant présents à l'intérieur des cadres reconnus par la Tradition, d'autant plus quand des formes de pharisaïsme s'attachent à la forme plutôt qu'à l'esprit.







QUESTION 4/8 Que pensez-vous de la proposition de concevoir la préparation au mariage comme un chemin de foi – en lien avec les autres sacrements? Comment est-ce conciliable avec le fait que la plupart des couples reprennent contact avec l’Eglise après une longue période de désintérêts, lorsqu’ils souhaitent un mariage religieux ?
TEXTE DE REFERENCE : N° 39 – Nouveaux efforts pour faire comprendre le mariage chrétien La situation sociale complexe et les défis auxquels la famille est appelée à faire face exigent de toute la communauté chrétienne davantage d’efforts pour s’engager dans la préparation au mariage des futurs époux. … Un enracinement de la préparation au mariage dans l’itinéraire de l’initiation chrétienne, en soulignant le lien du mariage avec le baptême et les autres sacrements. De même, la nécessité de programmes spécifiques a été mise en évidence pour la préparation proche du mariage, afin qu’ils constituent une véritable expérience de participation à la vie ecclésiale et approfondissent les différents aspects de la vie familiale.


R/ C'est une excellente idée. Non seulement en continuité avec les sacrements de l'initiation, mais aussi en articulation avec le sacrement de l'ordre. Dans quelle mesure cela aiderait à résoudre la crise théologique qui traverse aussi la définition du sacrement de l'ordre ? Une réflexion plus poussée serait nécessaire.
Une certaine fermeté impopulaire me semble néanmoins nécessaire en toute logique : refuser le sacrement du mariage à des couples souhaitant le « mariage à l'église » pour des raisons folkloriques ou superstitieuses. Il ne s'agit pas pour autant de les éconduire. Des bénédictions peuvent être proposées. Une manière d'expliquer ce que représente pour les chrétiens le sacrement du mariage permet peut être de faire prendre conscience à certains que ce n'est pas ce qu'ils veulent à un moment donné, et qu'ils ont peut être besoin de temps pour se sentir prêt à cette dimension-là. Par ailleurs, et peut être en contradiction avec ce qui précède, le parallèle avec la pratique du baptême des nourrisson peut être fait. Le sacrement a une efficacité intrinsèque. Beaucoup de baptisés se rendent compte longtemps après le baptême de l'énormité de ce qu'ils ont vécu, et ressentent le besoin de manifester un renouveau de leur baptême. On pourrait également imaginer de proposer à des couples anciennement marié de redécouvrir et de manifester un renouveau de leur mariage.
Pour continuer les analogies entre sacrements du mariage et sacrements de l'initiation, on peut noter que, chez les romains, on a distribué sur des âges anthropologiquement marquant la célébration du triptyque baptême – communion – confirmation. On pourrait imaginer déployer le sacrement du mariage sur des âges structurants dans la vie d'un couple (fiançailles, mariage, accueil de l'enfant, « maturité », devenir grand-parent ...). L'articulation avec le sacrement de l'ordre pourrait être renforcé dans ce mouvement en liant un de ces temps (maturité?) avec le diaconat, ou un autre ministère...
















QUESTION 5/8 Une simplification de la procédure de déclaration en nullité du mariage pourrait-elle être envisagée comme une voie de soutien ? En quoi ? Comment estimez-vous l’impact d’une déclaration en nullité d’un mariage de longue durée dont sont nés des enfants sur les personnes directement concernées et leur entourage ?
TEXTE DE REFERENCE : N° 48 – Simplification de la procédure en nullité Un grand nombre de Pères a souligné la nécessité de rendre plus accessibles et souples, et si possible entièrement gratuites, les procédures en vue de la reconnaissance des cas de nullité. Parmi les propositions, ont été indiqués : l’abolition de la nécessité de la double sentence conforme ; l’ouverture d’une voie administrative sous la responsabilité de l’évêque diocésain ; le recours à un procès simplifié en cas de nullité notoire. Certains Pères se disent toutefois contraires à ces propositions, car elles ne garantiraient pas un jugement fiable. Il faut réaffirmer que, dans tous ces cas, il s’agit de vérifier la vérité sur la validité du lien. Selon d’autres propositions, il faudrait aussi considérer la possibilité de mettre en relief, en fonction de la validité du sacrement du mariage, le rôle de la foi des deux personnes qui avaient demandé le mariage, en tenant compte du fait qu’entre baptisés tous les mariages valides sont sacrement.



Résoudre la question des divorcés-remariés par le recours exclusif à la nullité des mariages concernés me semble une facilité dangereuse. Je me base essentiellement sur le témoignage d'une femme victime de violence ne souhaitant pour autant pas s'entendre dire que ce qu'elle a vécu avec cet homme était « nul ».
Jésus a interdit la répudiation unilatérale du mari par la femme. Il le justifie par Gn2, « l'homme et la femme ne font plus qu'une seule chair ». Pour autant, les expériences de séparation ressemble souvent à des expériences de mort. De ce point de vue, exiger des deux partenaires de s'interdire tout nouvel amour de couple, quand les événements qu'ils ont pu vivre avec l'autre peuvent être de l'ordre d'une mort, c'est me semble-t-il condamner cette femme ou cet homme à rester dans un tombeau relationnel. Contradiction énorme quand on prêche la foi en la résurrection.
Envisager un tel cheminement suppose évidemment un engagement de la communauté chrétienne à accompagner celles et ceux qui ont été jadis admis à célébrer le sacrement du mariage. Accompagnement dans le discernement, mais avec des solutions spirituelles pour renaître.

Le coût que peut représenter la procédure de nullité peut constituer en soi une cause de scandale. D'autant plus s'il s'agit de la seule possibilité pour envisager de se séparer de son conjoint tout en étant reconnu par l’Église.
















QUESTION 6/8 Quel accueil l’Eglise réserve-t-elle aux divorcés remariés ? Que pensez-vous de la proposition d’admettre les divorcés remariés à l’Eucharistie après un temps de pénitence ? Que pensez-vous de la proposition d’inciter les divorcés remariés à emprunter le chemin de la communion spirituelle ?
TEXTE DE REFERENCE : N° 52 et 53 – Divorcés remariés et sacrements La réflexion a porté sur la possibilité pour les divorcés remariés d’accéder aux sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie. Plusieurs Pères synodaux ont insisté pour maintenir la discipline actuelle, en vertu du rapport constitutif entre la participation à l’Eucharistie et la communion avec l’Église et son enseignement sur le mariage indissoluble. D’autres se sont exprimés en faveur d’un accueil non généralisé au banquet eucharistique, dans certaines situations particulières et à conditions bien précises, surtout quand il s’agit de cas irréversibles et liés à des obligations morales envers les enfants qui viendraient à subir des souffrances injustes. L’accès éventuel aux sacrements devrait être précédé d’un cheminement pénitentiel sous la responsabilité de l’évêque diocésain. La question doit encore être approfondie, en ayant bien présente la distinction entre la situation objective de péché et les circonstances atténuantes, étant donné que « L’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées » par divers « facteurs psychiques ou sociaux » (Catéchisme de l’Église Ca-tholique, 1735). Certains Pères ont soutenu que les personnes divorcées et remariées ou vivant en concubi-nage peuvent recourir de manière fructueuse à la communion spirituelle. D’autres Pères se sont demandés pourquoi, alors, elles ne pouvaient accéder à la communion sacramentelle.

Favorable à l'accueil des divorcés-remariés à la table eucharistique. S'ils n'en sont pas dignes, qui dans la communauté le seraient ?


QUESTION 7/8 Les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne ont exprimé les Pères synodaux: sommes-nous en mesure de les accueillir en leur garantissant un espace de fraternité dans nos communautés? Que peuvent-ils apporter à la communauté chrétienne ?
TEXTE DE REFERENCE : N° 55 – Attitude à adopter vis-à-vis de l‘homosexualité Dans certaines familles, des personnes ont une orientation homosexuelle. À cet égard, nous nous sommes interrogés sur l’attention pastorale à adopter face à ces situations, en nous ré-férant à l’enseignement de l’Église : « Il n'y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille ». Néanmoins, les hommes et les femmes ayant des tendances homosexuelles doivent être accueillis avec respect et délicatesse. « À leur égard, on évitera toute marque de discrimination injuste »

R/ En préalable, il me semble qu'il ne faudrait pas passer d'une caricature à l'autre. S'il est heureux de cesser de caractériser l'homosexualité comme une pathologie psychiatrique, il est dangereux de la considérer comme une nature déterminant des comportements et une forme de vie. Il est important de ne cesser d'affirmer la grande liberté de chacun. Pour apprendre cette liberté spirituelle, dans les âges de transition, il est peut être utile que l’Église se donne plus les moyens de proposer un accompagnement spirituel approprié, c'est à dire libérant et apaisant, aux jeunes.

Au cours de son histoire, l’Église a su innover des formes de vies fondées sur l'amour qui ont fait scandale en leur temps, car elles contrevenaient au modèle familial dominant de l'époque : célibat consacré, communauté « homogenre » abstinente, et même le mariage fondé sur le consentement mutuel des époux. Quels sont les critères qui ont conduit l’Église non seulement à reconnaître, mais aussi à encourager et encadrer spirituellement ces formes de vie ? Le chemin de Foi possible et la fécondité spirituelle que manifestaient certain(e)s dans ces voies. Il me semble que c'est avec les mêmes critères qu'il faudrait s'interroger pour l'accueil des personnes homosexuelles. Il n'y a pas de cadre unique dans lequel peuvent s'épanouir des « personnalités à orientation homosexuelle ». Le célibat abstinent peut être tout aussi exigent et épanouissant pour un(e) homosexuel(le) que pour un(e) hétérosexuel(le). Une relation de fidélité dans un couple se distinguera évidemment des potentialités biologiques que peuvent expérimenter un couple hétérosexuel. Mais un couple homosexuel désirant un enfant vivra les mêmes épreuves qu'un couple hétérosexuel stéril. L'adoption a été pratiquée par des personnes stériles, soit par choix, soit de fait, sans que cela ne pose problème jusqu'à récemment. Je n'ai jamais entendu dire que les prêtres qui ont été amené à adopté un neveu suite au décès de ses parents aient causé des troubles psychologiques majeur du fait qu'il n'a pas apporté de référent féminin à l'enfant. Il est aujourd'hui étonnant que cette inquiétude cristallise l’opposition de certains à l'adoption par des couples homosexuels.
Le travail spirituel qui me semble utile entre les personnes homosexuelles et l'Eglise porte sur la question qui se pose par ailleurs à tous baptisés : comment vis-tu ta foi ? Avec Dieu ? Avec les autres ? Des spécificités évidentes, en difficultés propres comme en fécondités particulières sont à identifier, et à accompagner de la manière la plus ajustée, dans le discernement ecclésial.

QUESTION 8/8 Comment promouvoir un enseignement à la paternité responsable à la lumière de l’encyclique Humanae Vitae ? Les prescriptions du magistère sur les méthodes naturelles de contraception sont-elles réalistes ?
TEXTE DE REFERENCE : N° 58 - Dans ce domaine aussi, il faut partir de l’écoute des personnes et donner raison de la beauté et de la vérité d’une ouverture inconditionnelle à la vie comme ce dont l’amour humain a besoin pour être vécu en plénitude. C’est sur cette base que peut reposer un enseignement approprié quant aux méthodes naturelles de procréation responsable. Il s’agit d’aider à vivre d’une manière harmonieuse et consciente la communion entre les époux, sous toutes ses dimensions, y compris la responsabilité d’engendrer. Il faut redécouvrir le message de l’Encyclique Humanae Vitae de Paul VI, qui souligne le besoin de respecter la dignité de la personne dans l’évaluation morale des méthodes de régulation des naissances. L’adoption d’enfants, orphelins et abandonnés, accueillis comme ses propres enfants, est une forme spécifique d’apostolat familial (cf. Apostolicam Actuositatem, 11), plusieurs fois rappelée et encouragée par le magistère (cf. Familiaris Consortio, 41 ; Evangelium Vitae, 93). Le choix de l’adoption et de se voir confier un enfant exprime une fécondité particulière de l’expérience conjugale, et non seulement quand celle-ci est marquée par la stérilité. Ce choix est un signe éloquent de l’amour familial, une occasion de témoigner de sa foi et de rendre leur dignité filiale à ceux qui en ont été privés.

En préalable, j'interrogerais la pertinence (voire la sincérité) logique de la promotion de la méthode dite du calendrier pour convenir à « une ouverture inconditionnelle à la vie ». Si un couple décide des moments des relations sexuelles en référence à la non-fertilité de la femme, en quoi ce couple est-il plus « ouvert à la vie » qu'un couple qui rend l'un ou l'autre de ses partenaires stériles par des moyens chimiques, ou bien qui empêche la rencontre des gamètes par des moyens mécaniques ?
Les intentions ne sont-elles pas les mêmes ?
A fortiori, la parentalité responsable suppose aussi de se soucier de la dignité matérielle, intellectuelle et spirituelle des enfants à venir.
Cela supposerait-il que l'abstinence deviendrait la seule solution passé un certain nombre d'enfant ? Un discours spécifique sur la dimension spirituelle de l'acte sexuel, en dehors de la potentialité de la conception, est nécessaire. Il s'agit d'un moyen (parmi d'autre) de communiquer son amour dans un couple. Il y aurait à convertir le « devoir conjugal ». Rendre d'abord impossible, et même scandaleux, l'invocation de ce devoir pour justifier les violences conjugales. Peut être ré-habiter la notion d'obéissance entre époux, à la lumière de la spiritualité vécue et travaillée par les religieux, autour de l'écoute jusqu'au bout, mais sans abandon par aucun des époux de sa liberté.
L'enjeu des moyens de contraception et de choix d'accueillir un enfant doit donc absolument être indissociable d'un dialogue respectueux et confiant sur la sexualité, envisagée aussi et autant comme un des lieux de la respiration spirituelle du couple. Ce dialogue gagnerait à avoir des lieux de médiation, et/ou d'ouverture avec tiers (groupe de partage, accompagnement spirituel de couple, etc.). Ce qui se pratique déjà, et qui est donc à encourager.

mardi 24 juin 2014

Les mariages homosexuels sont-il forcément des mariages prostitutionnels? - Ni plus ni moins.


Cet article fait partie de la série: "Contre les mariages prostitutionnels".

Par rapport aux mariages qui deviennent un lieu d’exploitation d’un conjoint par l’autre, ou une institution qui se fait complice d’un système d’exploitation, est-ce-que le fait que les deux conjoints aient le même sexe induit forcément un rapport d’exploitation ? Au contraire, nous constatons que la demande d’obtenir une institution équivalente au mariage pour les homosexuels provient justement d’un besoin vécu par plusieurs couples homosexuels de protéger juridiquement la solidarité qu’ils souhaitaient vivre ensemble. L’épidémie de SIDA a notamment provoqué nombre de situations dramatiques où des couples avaient tout mis en commun par amour, mais où le ou la survivant.e se retrouvait dépossédé.e par les ayant droits selon la loi. 
 
Est-ce-qu’un couple homosexuel serait incapable de se respecter réciproquement ? L’argument souvent défendu par ceux qui discréditent la formation de couple homosexuel consiste à dire qu’il s’agirait d’une forme de narcissisme à deux. Les personnes homosexuelles auraient évité de rencontrer l’autre sexe par incapacité à s’ouvrir à la différence. On pourrait déduire cette affirmation du commentaire de la création de l’humanité dans la différence des sexes. Or ce que dit la différence des genres, ce n’est pas une dichotomie absolue entre le masculin et le féminin. Nous savons bien que personne n’est absolument masculin ou féminin. S’il est besoin de démontrer que nul en humanité n’est assigné à un sexe, régulièrement naissent des individus hermaphrodites. Les différents caractères sexuels sont déterminés par des processus biologiques complexes résultant de l’interaction entre l’environnement et le patrimoine génétique de chaque individu, comme tout processus biologique. L’identité de genre n’est donc pas la conséquence directe du patrimoine génétique de l’individu, quand bien même cet individu dispose d’un patrimoine génétique qui détermine sans ambiguïté son identité sexuelle. 
En fait, la différence de genre représente l’altérité la plus évidente au sein de l’humanité, et en même temps l’altérité qui ne peut se nier par l’exclusion. On ne peut pas affirmer qu’un seul des sexes représenterait la « vraie » humanité tellement il est incontournable qu’il faut des femmes et des hommes pour reproduire l’humanité. L’humanité créée femme et homme, c’est aussi l’humanité incluant toute altérité entre humains. L’humanité, femme et homme, à la ressemblance de Dieu, c’est aussi la nécessité d’embrasser toute la diversité de l’humanité pour envisager Dieu. Il n’est donc pas nécessaire d’être face à un individu de l’autre sexe pour être confronté à l’altérité. On peut d’ailleurs tout autant nier l’altérité tout en vivant dans un couple hétérosexuel. N’est-ce pas ce qui se passe en partie quand les couples se choisissent à l’intérieur d’une même classe sociale, dans un groupe de même opinion ou de même confession, ou encore à l’intérieur d’une même apparence raciale ? Quand la violence conjugale éclate, c’est en fin de compte le symptôme que le couple, quoiqu’hétérosexuel, ne parvient pas à se rencontrer dans l’altérité. La violence est alors un moyen pour obliger l’autre à se conformer à ce que je veux qu’il soit, sans trop déranger mes pré-représentations.


La question de l’accueil des enfants cristallise aussi l’opposition au mariage homosexuel. Evacuons tout de suite la question des mères porteuses (ou GPA) : ces situations relèvent clairement des mêmes logiques que la prostitution. Dans le cas de l’adoption ou de la procréation médicalement assistée par don de sperme pour des couples de femmes, en quoi le processus d’accueil de l’enfant dans ces couples diffère phénoménologiquement de tout accueil d’enfant? A moins de croire que le lien génétique entre parents et enfants est indispensable. Or cette obsession de la matérialité biologique de la filiation est une forme d’idolâtrie qui nie la profonde originalité de tout nouveau né, qui lui refuse son mystère. On entend beaucoup dire que les enfants auraient besoin d’un modèle masculin et féminin pour se construire. Il est étrange que les institutions qui ont organisé des pensionnats où les enfants étaient instruits non seulement dans un environnement non mixte mais aussi par des corps enseignants du même sexe, découvrent aujourd’hui les mérites éducatifs de la mixité. Mais tout de même, la famille « traditionnelle » que nous rapportent les romans du XIXe siècle donnait-elle vraiment une place égale aux pères et aux mères ? Ne voyons-nous pas des modèles familiaux où le père était absent ? Cette situation ne perdure-t-elle pas dans les familles où le père se sacrifie (ou fuit) au travail ? L’Eglise a-t-elle alors milité pour que les pères prennent vraiment leurs places ? A-t-elle milité pour réduire les temps de travail afin que les parents des deux sexes puissent passer plus de temps avec leurs enfants ? (En fait, sur ce dernier point, c’est vrai, le catholicisme social a été de ce combat). Poursuivons-nous ce combat, et pas seulement pour défendre le repos dominical ? Tout ce qui a pu être écrit à propos d’enfants élevés dans des couples homosexuels semble indiquer qu’ils ne sont pas mieux ni moins bien éduqués que les autres, ils n’en deviennent pas moins des humains, avec leur histoire particulière comme tout un chacun. Et avant même les couples homosexuels réunis par un amour érotique, n’a-t-il pas de tout temps existé, du fait des aléas de la vie, des parents homosexuels, au sens où les adultes en charge de l’éducation de l’enfant était du même sexe, rassemblés pour s’occuper de l’enfant par des liens de parenté ou d’amitié ? N’a-t-on pas vu une grand-mère aider sa fille-mère, deux oncles recueillir leur neveu orphelin, etc ? Face à ces situations où manquait un « référent masculin ou féminin », le bon sens n’a-t-il pas toujours préféré que l’enfant grandisse auprès d’adultes qui l’entourent d’amour, et qui sont eux-mêmes liés par des solidarités de fraternité, d’amour filial ou d’amitié ? Tout de même, je trouve la soudaine passion pour la filiation biologique chez certains courants de pensée chrétiens surprenant. N’avons-nous pas dans nos communautés des couples, certes hétérosexuels, qui ont adopté des enfants, souvent de couleur de peau manifestement différente ? Certes nous voyons bien que ces adoptions ne sont pas toujours heureuses, que ces familles sont confrontées à de questions spécifiques. Les enfants peuvent souffrir de racisme, ils peuvent se poser des questions existentielles qui amplifient les difficultés de l’adolescence, ils peuvent avoir vécu dans les années qui précédèrent l’adoption des choses traumatisantes. Et de toute manière les parents adoptifs sont confrontés aux mêmes défis que tout parent, en particulier le défi d’élever ses enfants de manière chaste. Ces familles sont souvent animés d’une réelle et sincère générosité : faire profiter d’un environnement digne et aimant à des enfants abandonnés, souvent dont le lieu de naissance les condamnerait à la misère. On pourrait pourtant les suspecter d’être habité par une revendication du « droit à l’enfant ». Adoptent-ils parce qu’ils sont stériles ? Parce que la femme ne veut ou ne peut plus supporter une nouvelle grossesse ? Je ne crois pas que nous traitons avec ces suspections infamantes les couples de nos communautés qui adoptent. Pourquoi les réservons-nous aux couples homosexuels ? Tout le monde aujourd’hui dans l’Eglise ne se défend-il pas d’être homophobe ?

Oui, un couple homosexuel peut être un couple prostitutionnel. Il existe de la prostitution homosexuelle, en particulier dans les milieux homosexuels masculins. Les personnes homosexuelles peuvent aussi se laisser aspirer par la cupidité, devenir carriériste, etc. Il existe aussi de la violence parmi les personnes homosexuelles. On trouvera des hommes homosexuels machistes, et des femmes homosexuelles vouant une véritable haine du sexe masculin. On trouvera même des couples homosexuels du type « cage au folle », où un des partenaires croyant se féminiser s’humilie en endossant le rôle d’une femme soumise, qui n’est pas le vrai visage de la féminité. Enfin on trouvera des couples homosexuels portant l’exigence d’un droit à l’enfant. Quitte à instrumentaliser le corps d’une femme pour lui faire porter un enfant. En effet la question des mères porteuses partage de nombreux points communs avec la prostitution. Son organisation pratique suppose un échange d’argent, ne serait-ce que pour assurer l’existence de la mère porteuse pendant la grossesse. Elle répond à un désir qui est perverti en un besoin, ou même en droit. Elle introduit dans la sphère marchande un échange ou une pratique qui devrait absolument rester gratuite si l’humanité veut rester humaine. Donc effectivement, il faut s’opposer de toutes nos forces au développement de la GPA. 

Donc oui, tout à fait, les mariages homosexuels peuvent être des mariages prostitutionnels. Mais ni plus ni moins que les mariages hétérosexuels. Les difficultés à vivre dans la fidélité et la chasteté sont aussi difficiles mais autant humanisant dans les couples homosexuels que dans les couples hétérosexuels. Justement, si ces hommes et ces femmes s’aiment, s’ils souhaitent vivre en solidarité comme des époux mariés, s’ils sont prêt à être responsables devant la communauté humaine jusqu’à accueillir des enfants, pourquoi les empêchons-nous de tenter un chemin que nous savons être un chemin de bonheur, un chemin de libération et un chemin d’humanisation, un chemin donc qui mène aussi à l’amour de Dieu ? Nous savons que ce chemin est semé d’embûches, qu’il longe les ravins de la prostitution où l’on peut tomber à tout instant. D’autant plus n’ajoutons pas des difficultés aux difficultés qu’ils rencontreront de toute manière ! Aidons-les plutôt, soutenons-les. Et laissons-nous aussi nous convertir par eux. Nous croyons trop facilement que nos enfants sont comme une extension de nous même, qu’ils ne couperont jamais le cordon ombilical ? Laissons-nous convertir à l’accueil de la différence dans nos propres enfants en voyant ces couples adopter. Nous voulons à tout prix que notre couple soit « normal », c'est-à-dire conforme à une norme, à un modèle. Laissons nous convertir à écouter nos désirs profonds et les appels des circonstances ! Qu’y avait-il de « normal » dans la Sainte-Famille ? une mère vierge, un père putatif, un fils fugueur… 
 
Non, il n’y a rien de spécifiquement prostitutionnel dans les mariages homosexuels. Ils sont confrontés aux mêmes tentations de s’abandonner aux logiques de la prostitution que les couples hétérosexuels. Mais, par l’originalité inhérente des familles qu’ils fondent, ils peuvent nous aider à trouver de nouvelles ressources pour vivre les épousailles. Jésus d’ailleurs nous a peut être déjà donné un de ces couples en exemple de foi. Quelle était au juste la relation du centurion avec son esclave « qui lui était cher » (Lc 7,2), lequel centurion demanda à Jésus de guérir son esclave, « son enfant » (Lc 7,7) ? Comme souvent dans ce genre de situation, l’évangéliste est discret, on pourrait dire qu’il a du tact. De même, parmi les femmes en qui la tradition croit voir des prostituées, aucune n’est ainsi clairement désignée par les évangélistes. Cependant dans le contexte de l’époque, connaissant les mœurs des romains, il est plausible que ce centurion était l’amant de son cher esclave. Et si ce n’était le cas, les contemporains de la scène pouvaient néanmoins suspecter que ça l’était. On pourrait arguer que dans ce cas les « anciens des juifs » qui transmirent les premiers la demande de guérison ne l’aurait pas fait. Or ils vendent la mèche : ce n’est pas seulement parce qu’il aime la nation juive, mais aussi parce qu’il « nous a bâtit la synagogue » qu’il est digne (Lc 7,5). Et en effet, alors que Jésus s’approche, le centurion envoie un deuxième groupe de messagers, des amis cette fois, pour lui dire que ce n’est pas la peine qu’il entre chez lui. Il doit savoir qu’il serait cause de scandale pour cet homme qu’il admire, et pas seulement parce qu’il représente l’ennemi. Cependant Jésus déclare à propos de cet homme : « pas même en Israël je n’ai trouvé une telle foi » (Lc 7,10). Et depuis, à chaque célébration eucharistique nous faisons notre à peu près sa profession de foi : « je ne suis pas digne de te recevoir, mais dit seulement une parole et [je] serai guéri ».

Enfin je relève un dernier argument contre le mariage homosexuel. Cela provoquerait une « révolution anthropologique » catastrophique pour nos sociétés. Cela provoquera un changement anthropologique profond, certes, et de toute manière il est en cours, et la loi court derrière plutôt qu’elle ne le provoque. Comme tout changement, il provoquera des secousses, mais je ne crois pas qu’il sera catastrophique. Là aussi il est surprenant que tout à coup l’Eglise se mette à s’inquiéter des chocs anthropologiques qu’on peut faire subir à une société. N’a-t-elle pas été partie prenante du choc anthropologique le plus violent car le plus massif et le plus brutal en temps qu’a peut être connu l’humanité, c'est-à-dire les colonisations européennes ? Certes les écroulements démographiques des Amériques après Colomb doivent beaucoup aux épidémies et aux massacres directs, ce que l’on ne peut pas tout à fait reprocher à l’Eglise, ne serait-ce que grâce au combat de Las Casas. Mais d’autres maux sont comptables de ces écroulements démographiques : alcoolisme, épidémie de suicide, apathie. On observe ces phénomènes encore aujourd’hui parmi des peuples qui ont fait récemment la rencontre de la civilisation globale. Les églises ne sont-elles pas aussi entrain d’œuvrer pour une révolution anthropologique profonde dans plusieurs pays d’Afrique ? Pour faire disparaître la polygamie, l’excision et nombre de rites initiatiques de la jeunesse ? La christianisation de l’Europe n’a-t-elle pas aussi été accompagnée de révolutions anthropologiques ? Fin des sacrifices humains (quoiqu’on a continué à mener des guerres sacrificielles), promotion de l’existence juridique de chaque personne (abolition du Pater familias), promotion même de l’autonomie des femmes (obligation du consentement mutuel pour le mariage, possibilité de choisir le célibat consacré) ? Ces révolutions n’ont pas été sans violence, comme souvent contre-révolutionnaires. La majorité des saints martyrs des premiers siècles sont des femmes assassinées en raison de leur refus de se soumettre à l’autorité paternelle. Aujourd’hui, la persistance de la prostitution dans nos sociétés manifestent que nous avons devant nous des révolutions anthropologiques à opérer, en particulier qu’il devienne inconcevable de pouvoir obtenir une relation sexuelle contre de l’argent. Elargir le champs des possibles pour vivre les épousailles, pour les incarner, sans rendre accessoire la question des perversions que nous pouvons faire subir à l'Amour, ne peut pas être une révolution anthropologique contraire à l'Esprit.

publié une première fois le 17/04/2013 sur Caloupilé

mardi 25 février 2014

C'est l'amour qui rend parent, et non la filiation biologique.


L'argument de l'importance quasi sacrée de la filiation biologique pour les enfants a été de plus en plus développé dans les milieux chrétiens à l'occasion du débat contre « le mariage pour tous ». Cette pente me paraît tout à fait dangereuse pour la foi chrétienne. D'abord il est difficile de ne pas y voir une grande part de mauvaise foi et de malhonnêteté intellectuelle. Il ne s'est jamais vu jusqu'à présent que les chrétiens s'opposent à l'adoption. Au contraire nombre de pratiques chrétiennes, y compris sacramentales, promeuvent l'adoption pour le bien des enfants. Comment se fait-il que la filiation se pare subitement d'une telle importance si ce n'est parce que cela devient un argument ad hoc pour s'opposer à l'adoption par des couples homosexuels ? Ensuite, en soi, l'obsession pour la filiation biologique présente le risque de finir en une idolâtrie qui nie la liberté aussi bien des enfants que celles des parents. Enfin, ce ralliement soudain à la filiation biologique fait oublier la grandeur spirituelle du processus de l'adoption. Ce que je voudrais porter en pointe de ce texte c'est que, dans la foi chrétienne, la seule filiation est divine, les parents humains ne peuvent qu'adopter. Donner trop d'importance à la filiation biologique comme condition du devenir humain relève d'une idolâtrie qui coupe de Dieu et de la liberté humaine.

En effet je trouve la soudaine passion pour la filiation biologique chez certains courants de pensée chrétiens surprenante. La tradition du parrain et de la marraine, à l'origine destinée à être un forme d'accompagnement dans l'initiation du catéchumène, n'est-elle pas devenu avec la généralisation du baptême de petits enfants une forme de désignation des adultes qui seraient destinés à adopter l'enfant s'il arrivait malheur à ses parents ? N’avons-nous pas aujourd'hui encore dans nos communautés chrétiennes des couples, certes hétérosexuels, qui ont adopté des enfants, souvent de couleur de peau manifestement différente ? Certes nous voyons bien que les adoptions ne sont pas toujours heureuses, que ces familles sont confrontées à de questions spécifiques. Les enfants peuvent souffrir de racisme, ils peuvent se poser des questions existentielles qui amplifient les difficultés de l’adolescence, ils peuvent avoir vécu dans les années qui précédèrent l’adoption des choses traumatisantes. Et de toute manière les parents adoptifs sont confrontés aux mêmes défis que tout les parents, en particulier le défi d’élever ses enfants de manière chaste. Ces familles sont souvent animés d’une réelle et sincère générosité : faire profiter d’un environnement digne et aimant à des enfants abandonnés, souvent dont le lieu de naissance les condamnerait à la misère. On pourrait pourtant les suspecter d’être habité par une revendication du « droit à l’enfant ». Adoptent-ils parce qu’ils sont stériles ? Parce que la femme ne veut ou ne peut plus supporter une nouvelle grossesse ? Je ne crois pas que nous traitons avec ces suspections infamantes les couples de nos communautés qui adoptent. Pourquoi les réservons-nous aux couples homosexuels ?
Il se dit aussi que ce qui manquerait aux enfants élevés par un couple homosexuel serait la présence des modèles de genre différenciés, c'est-à-dire un père et une mère. Or avant même les couples homosexuels réunis par un amour érotique, n’a-t-il pas de tout temps existé, du fait des aléas de la vie, des parents homosexuels, au sens où les adultes en charge de l’éducation de l’enfant était du même sexe, rassemblés pour s’occuper de l’enfant par des liens de parenté ou d’amitié ? N’a-t-on pas vu une grand-mère aider sa fille-mère, deux oncles recueillir leur neveu orphelin, etc ? Face à ces situations où manquait un « référent masculin ou féminin », le bon sens n’a-t-il pas toujours préféré que l’enfant grandisse auprès d’adultes qui l’entourent d’amour, et qui sont eux-mêmes liés par des solidarités de fraternité, d’amour filial ou d’amitié ?
On voit bien que le recours à l'argument du droit des enfants qui serait bafoué par l'adoption par des parents homosexuels relève beaucoup de la stratégie. Il s'agit de prétendre que l'opposition au mariage pour tous ne relèverait pas de motivations homophobes. Néanmoins la mauvaise foi tactique de cet argument non seulement ne dupe personne quant à l'homophobie de ceux qui se laissent convaincre par sa spéciosité, mais aussi présente de nombreux dangers spirituels.

Ces derniers mois, j'ai vu fleurir dans les publications de l'Eglise un certain nombre de témoignage qui insiste sur la connaissance de sa filiation biologique. Pourtant le jugement de Salomon nous donne une indication comment reconnaître une mère dans une situation inextricable où deux femmes revendiquent leur maternité sur un même enfant. Ce n'est pas sur la ressemblance de l'enfant avec l'une ou l'autre femme, ni par aucune preuve « naturelle », relevant de la biologie, que Salomon révélera laquelle est la vraie mère. C'est en menaçant l'enfant de mort qu'il fera se manifester laquelle des deux femmes aime tant cet enfant qu'elle le préfère voir en vie, mais confié à l'autre femme, plutôt que mort (1R 3,20-30). Car si on suit le philosophe espagnol Ortega y Gasset, aimer quelqu'un, c'est vouloir sa vie.
Et en effet, en quoi le partage d’un patrimoine génétique rend-il parent ? Cette obsession pour la filiation biologique n’est-elle pas plutôt un obstacle à la juste adoption de nos enfants ? Certes les femmes n’ont en général aucun doute sur leur maternité biologique. Mais l’angoisse des pères pour lever leur doute n’a-t-il pas des conséquences catastrophiques ? Car le processus multiséculaire d’un contrôle accru des hommes sur les femmes n’a-t-il pas pour moteur cette obsession à être sûr de la paternité ? Ce doute sur la paternité est à proprement parler un manque de foi. Manque de foi vis-à-vis des femmes qui participe à la violence de genre et manque de foi vis-à-vis des enfants. Car enfin quelle importance cela fait que nous ayons vraiment des liens génétiques avec les enfants qui nous sont donnés ? Cette obsession de la paternité n’est-elle pas une forme d’idolâtrie qui empêche d’accueillir les enfants tels qu’ils sont, et non pas comme nous voudrions qu’ils soient ? Car quand bien même nous serions assurés leur être génétiquement apparentés, il nous faut les accueillir comme des êtres absolument nouveaux, ce qu’ils sont. Nous cherchons sur leur visage des ressemblances : « il a le nez de son père » ; « elle a les yeux de sa mère et le lobe d’oreille droite de son grand-père… ». Mais comment ne voyons-nous pas que leur visage est absolument nouveau, originale, inédit ? Comment même cette quête de la ressemblance nous fait manquer le plus surprenant et le plus merveilleux dans un visage de nouveau-né : son absolue originalité !

De plus l’homme par excellence selon notre foi chrétienne, Jésus-Christ, n’a-t-il pas été adopté ? Nous voyons en Marie un modèle de foi, et c’est juste. Mais quel modèle de foi pour les pères nous est proposé en Joseph ! Combien de doutes virils aurait-il pu « légitimement » avoir ! Une mère vierge ? En tout temps et en tout lieu, un homme qui accueillerait un enfant d’une femme en croyant une telle fable est la risée de ses pairs virils. Pourtant Joseph s’est fait père pour cet enfant, et peut être à ce titre meilleur père que les hommes gonflés de leur certitude virile sur la puissance réalisée de leur sperme. Surtout, il a été père sans faire obstacle au vrai Père de Jésus. Sa manière d’éduquer Jésus, manifestement, n’a pas empêché ce dernier de découvrir sa vraie filiation. Pour nous autres chrétiens qui croyons être enfant de Dieu par le baptême, qui n’hésitons pas pour la majorité d’entre nous à baptiser très jeunes nos enfants, avons-nous tout à fait conscience de cet enjeu ? Nos enfants sont engendrés par une parenté plus importante que la parenté biologique : ils sont appelés à être fils et filles de Dieu.
Il me semble que cette spiritualité de la parentalité comme une adoption est libérante. Libérante pour les enfants au premier titre qui ne sont plus soumis à la dictature des déterminismes biologiques et culturelles. Libérante aussi pour les parents, qui non seulement sont libérés de l’obsession de la paternité, ce qui a aussi des effets libérants sur les relations dans le couple, mais surtout ne sont pas comptables de tout ce que deviendront leurs enfants. Je pense notamment aux parents nombreux qui désespèrent de voir leurs progénitures s’éloigner de l’Eglise, de leur manière de foi. Or leurs enfants souvent vivent nombre de choses dont ils pourraient rendre grâce à la lumière de l’Evangile. Le témoignage de Foi n’est pas la transmission d’une croyance en un dogme. C’est donner envie de continuer le chemin de libération entrepris dans sa propre vie, et donc partager la motivation qui était le moteur de ce combat : désir de vie, aspiration à plus grand... Nos enfants peuvent se révéler être nos devanciers sur le chemin de Foi. Jésus ne nous montre-t-il pas l’enfant comme un modèle de Foi ? Le poète, Pablo Neruda, le dit aussi de manière magnifique :

« Comme un violent orage
nous avons agité
tout l'arbre de la vie,
secoué au plus caché
les fibres des racines,
et déjà te voici
chantant parmi les feuilles,
sur la plus haute branche
que tu nous fais atteindre. »

mercredi 19 février 2014

Contre les mariages prostitutionnels

Pour l'Eglise, le mariage est un sacrement. C'est-à-dire le signe concret de l'amour de Dieu pour son humanité. Déjà l'Ancien Testament avec le Cantique des cantiques porte le témoignage que les amours humaines peuvent être à l'image et à la ressemblance de l'amour que Dieu propose à l'humanité. Les chrétiens sont donc tout à fait légitimes pour promouvoir dans la société des conditions telles que chacun puisse vivre des amours à l'image de l'amour de Dieu. Ces temps-ci, nombre de chrétiens se sont mobilisés contre la loi du « mariage pour tous », considérant que l'ouverture des droits du mariage civil aux couples homosexuels mettraient en danger ces conditions. Pour eux, le mariage homosexuel dévoierait le sens profond du mariage. Pour ma part, mon expérience militante de rencontre et d'accompagnement des personnes prostituées au sein du mouvement du Nid, m'a poussé à méditer à la lumière du livre d'Osée en quoi le mariage pouvait constituer une institution opposée à la prostitution. Or Osée nous montre comment les logiques de la prostitution peuvent s'infiltrer dans un couple et pervertir le mariage. Prévenir des perversions qui menacent l'amour fait donc partie des missions de l’Église. La prostitution constitue à mon avis l'archétype du détournement de l'amour. Là où l'amour est gratuité, la prostitution prétend possible de l'acheter et de la vendre. Là où l'amour est liberté, la prostitution n'est que jeu de domination et d'humiliation. Là où l'amour rend possible toutes naissances, biologiques comme spirituelles, la prostitution est fermeture à l'avenir. De tous ces risques, les couples homosexuels ne sont pas exempts. Cependant je ne vois rien qui leur interdit forcément d'accueillir la gratuité, la liberté et la fécondité de l'amour. Le risque de la mobilisation des chrétiens contre le mariage homosexuel est donc d'oublier pourquoi le mariage est une institution humaine si importante pour l’Église. Il ne s'agit pas d'une institution formelle nécessaire au bon ordre de la société, il s'agit d'une forme d'incarnation de l'amour de Dieu parmi les humains qui libère des logiques de la prostitution : la violence, la cupidité, l'absence de foi. Le risque alors est de se tromper dans l'avertissement que nous adressons à nos contemporains. Ce sont les logiques de la prostitution dont il faut préserver le mariage, et non les écarts vis-à-vis d'un formalisme arbitraire.

Or de nombreux aspects du « couple chrétien », tel qu’on pourrait le concevoir à écouter ses défenseurs ou à observer ceux qui prétendent l’incarner, ne présentent que de faibles résistances aux logiques prostitutionnelle. Pour simples preuves pratiques, il suffit de constater la persistance de la prostitution dans les pays et les régions sociologiquement chrétiennes. La résistance spirituelle contre la prostitution de ces familles chrétiennes est si faible qu’elle n’empêche par leurs hommes d’être clients-prostitueurs. Parfois même j’ai entendu des épouses « de bonne bourgeoisie chrétienne » préférer que leur mari aille voir les « belles de nuit », plutôt qu’ils les « trompent avec une maîtresse». Leur résistance spirituelle est si faible qu’elle n’empêche pas leurs filles et leurs fils de se laisser entraîner à l’autodestruction dans la prostitution. Je me rappelle du témoignage d’une jeune femme qui méprisait tant son corps que se laisser prostituer constituait pour elle une manière de vengeance sur le regard qu’on a porté sur elle depuis toute petite. De même, de nombreux garçons, victimes d’homophobies dans leur adolescence, croient découvrir leur identité sexuelle en se livrant corps et âme au milieu de la prostitution homosexuelle. Elle est si faible cette résistance spirituelle que des pays à majorité chrétienne, gouvernés par des partis prétendument chrétiens, laissent l’état organiser la prostitution, comme l'Allemagne et l'Espagne. Et quand les pays chrétiens ne sont pas réglementaristes, ils sont prohibitionnistes comme l’Irlande et la majorité des Etats-Unis. C’est dire s’ils n’ont rien compris où se trouvent le problème dans la prostitution, croyant que le scandale serait le « vice » des personnes prostituées, alors que le scandale est au contraire le fait qu’elles soient exploitées et humiliées.

Il ne suffit pas d’être en couple, ni d’être hétérosexuel, ni d’avoir des enfants « biologiquement naturels », ni même de n’avoir de relations sexuelles qu’avec son partenaire (ce qu’on croit suffisant pour définir la fidélité), pour échapper aux logiques prostitutionnelles. Le livre d'Osée témoigne d'une expérience spirituelle incarnée qui a peut être été fondatrice dans l'histoire de la Foi judéo-chrétienne. Osée a épousé Gomer, une femme prostituée. Ce faisant, il se faisait prophète de l'amour de Dieu pour l'Humanité. La relation entre Osée et Gomer est une histoire tragique et douloureuse, où l'on voit les logiques de la prostitution continuer à être à l’œuvre pour pervertir l'amour. En suivant Osée et Gomer, nous pouvons être averti de ces dangers. J'en identifie trois, qui sont trois formes d'idolâtrie dans le mariage :


Le sacrement du mariage catholique n'est pas au service de la stabilité d'une certaine société. Il est au contraire subversif. Dès son institution canonique au XIIeme siècle, il dérange par la centralité qu'il donne au libre consentement des épouxes. La péricope, où Jésus réaffirme l'indissolubilité du mariage face à la loi de Moïse autorisant la répudiation des femmes, peut être considérée comme la racine évangélique du sacrement du mariage. Or une telle prise de position fait certainement partie de ce qui a mené Jésus sur la croix. Jésus ne condamna pas les personnes prostituées, au contraire il présenta certaines d'entre elles, apparemment devenu disciples de Jean le Baptiste, comme précédant les prêtres du temple dans le Royaume. S'étant convertie à la prédication de Jean, elles avaient rompu avec l'idolâtrie. Les prêtres, eux, malgré leur pureté rituelle que Jésus ne remet pas en doute, sont toujours dans l'idolâtrie. L'enjeu de la Foi chrétienne, ce n'est pas des formalismes rituels ou moraux, c'est la Foi des humains en un Dieu aimant.
La comparaison que l'Ancien Testament fait souvent entre prostitution et idolâtrie permet de proposer une théologie basée sur l'analogie entre amours humaines et amour divin : une théologie des épousailles.

Donc si les chrétiens sont légitimes à s'engager dans la société pour promouvoir un certain type de mariage, c'est bien pour promouvoir les épousailles, les mariages qui incarnent l'amour. Et s'il y a certains types de mariage à dénoncer, ce sont les mariages contaminés par la prostitution. Le mariage homosexuel serait-il forcément un mariage prostitutionnel ?

Ni plus ni moins que le mariage hétérosexuel.

 Mais en se mobilisant contre cette loi, les chrétiens semblent oublier ce qui fait le cœur sacramentel du mariage qu'ils prétendent défendre. Le plus grand risque se trouve là à mon avis.
Car un couple hétérosexuel, pas plus qu'un couple homosexuel, n'est à l'abri de la prostitution provoquée par l'argent, ni par celle provoquée par la violence, ni enfin par celle qui induit une stérilité spirituelle.
S'engager dans la société, jusqu'à la politique, pour promouvoir les épousailles, c'est à dire garantir des conditions sociales, culturelles et économiques qui ne favorisent pas les logiques prostitutionnelles, ça suppose donc de s'engager:
- contre la prostitution au sens strict, et donc pour son abolition;
- contre la précarité, en particulier celle des femmes, et tout ce qui engendre la précarité, notamment l'inégale répartition des richesses et l'insécurité sociale au travail;
- contre les violences conjugales;
- contre tout ce qui s'oppose à l'égalité entre femmes et hommes, dans les représentations culturelles, mais aussi dans les institutions, politiques comme ecclésiales;

Les opposants au mariage pour tous ont beaucoup prétendu défendre le droit des enfants. L'argument qu'un couple homosexuel en adoptant mettrait en danger ses enfants ne me parait pas sérieux. Mais quand bien même il le serait, considérant la pauvreté qui touchent dans notre pays et dans le monde avant tout des enfants, les combats que je viens de lister répondent, me semble-t-il, beaucoup mieux aux droits des enfants à grandir dans la sécurité économique, affective et culturelle.

vendredi 7 février 2014

L'amour ne peut pas être un péché, mais la violence dans les relations sexuelles est un péché.



« Les peurs ne viennent pas de la Bible ».

Même s’il s’agit de « honte » : avec la Bible l’homosexualité n’est pas condamnée, dit la théologienne Claudia Janssen.

Interview dans « die Tageszeitung », 05/02/2014. Traduction Philippe Gastrein.

Taz : Madame Janssen, est-ce-que l’amour peut être un péché ?
Claudia Janssen : Non, l’amour ne peut pas être un péché, mais la violence dans les relations sexuelles (qu’elles soient hétéro ou homosexuelles) est un péché, ou bien autrement dit : la violence c’est l’injustice et ce n’est pas de l’amour entre deux personnes qui ont la même dignité.

Taz : Réponse sans langue de bois de la part d’une théologienne. Pourtant les gens se réfèrent toujours à la Bible comme si elle condamnait les personnes homosexuelles ou bisexuelles.
CJ : L’homosexualité dans la Bible est tout à fait marginale. En général on ne le sait pas. Personne ne s’étonnerait autant du débat actuel autant que Paul lui-même, que pourtant on cite souvent en référence. Il n’a justement écrit qu’une phrase et demie sur le sujet.

Taz : Lesquelles ?
CJ : Dans le premier chapitre de la « lettre aux Romains », il est écrit : « C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à leur égarement. » (Rm 1, 26-27, trad. AELF, traduction de Martin Luther dans l’article originale).

Taz : Et que dîtes vous de cela ?
CJ : Dans le cas précis, il n’y a rien à sauver : la sexualité entre deux femmes, pour Paul, c’est « contre nature », comme entre deux hommes. Cela tient à ce que dans l’Antiquité la sexualité était ainsi définie qu’un homme libre pénètre un partenaire de rang inférieur : une femme ou un esclave (qui pouvait être un esclave masculin, ou bien une femme ou un enfant). La sexualité entre deux hommes libres était par contre considérée comme contre nature.

Taz : Donc du sexe entre un homme libre et un esclave, cela ne posait pas de problème à Paul ?
CJ : Pour les contemporains de l’Antiquité romaine en général, cela ne posait pas de problème.  D’ailleurs souvent les esclaves masculins devaient se raser afin de paraître « non-viril ». Mais Paul, du fait de ses traditions juives,  a rejeté cela.

Taz : Et qu’en était-il donc entre deux femmes ?
CJ : Quand deux femmes couchaient ensemble, selon les mentalités de l’époque de Paul, l’une des deux devait avoir dépassé la limite des sexes en assumant un rôle « viril ». C’était donc aussi considéré comme contre la nature.

Taz : Il semble que les femmes ne pouvaient pas assumer de rôle actif dans leur sexualité. Même avec un homme ?
CJ : Le texte grec est très parlant : « les femmes rejettent leur manière naturelle ». Une relation sexuelle basée sur la réciprocité et l’égale dignité serait, dans cette manière de voir, tout aussi impensable, puisqu’elle serait aussi « contre nature ».

Taz : La Bible est donc un instrument de soumission. Cela doit être dur pour vous, qui êtes théologienne et féministe.
CJ : Ce n’est pas la Bible, mais l’ordre patriarcal qui soumet les humains, femmes comme hommes. C’est pour cette raison que Paul met toujours en garde contre le mariage. Car il voit que celles et ceux qui se donnent au mariage, se livre aux structures patriarcales de la société, et qu’alors elles et ils ne sont plus en mesure de consacrer beaucoup de temps et d’énergie à la communauté. On doit toujours prendre en compte ces questions qui ont à voir avec la sexualité dans le cadre de la famille de l’Antiquité. Elle se compose d’esclaves, de femmes, d’enfants qui sont tous propriété du Pater Familias. Celui-ci décide comme la vie commune s’organise. C’est la norme. C’est pourquoi Paul écrit pendant des chapitres entiers à quoi une vie communautaire non hiérarchisée peut ressembler (par exemple : 1Co12).

Taz :  Mais il parle aussi de la « honte »  qu’amène « un homme avec un homme », et aussi « d’égarement ».
CJ : Il y a certes dans la Bible plusieurs affirmations sur de nombreux sujets. Le deutéronome exige de manière très claire l’effacement de la dette tous les sept ans (Dt15). Dans le « Notre Père », nous prions pour que « Pardonne nous nos dettes, comme nous pardons à nos débiteurs » (traduction littérale de « pardonne nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », qui reste dans la version allemande, NDT). Ici, très clairement, cela concerne aussi des dettes économiques. L’accueil des personnes en détresse et des réfugiés est une autre exigence éthique tout à fait centrale dans la Bible. Mais sur ces sujets, on trouve beaucoup de gens pour conclure rapidement qu’il faut relativiser dans un cadre historique, ou bien qu’il ne faut pas considérer ces aspects comme tellement important.

Taz : Est-ce-que la Bible peut donc être un guide de morale ?
CJ : C’est exactement la question de fond. Pourquoi je considère que tel passage correspond à une vérité intemporelle, et tel autre passage doit être lu dans le contexte historique de sa rédaction ? Pourquoi dirais-je que c’est une Parole immuable quand il s’agit d’homosexualité. Et pourquoi j’interprète dans le contexte historique le commandement de lapider l’adultère ? La Bible n’est pas un livre où l’on trouve des vérités intemporelles qui auraient une validité sans restriction à toutes les époques. Elle n’est pas non plus une autorité morale, avec laquelle je peux me couvrir quand ça me convient.

Taz : Si la Bible n’est pas une autorité morale, qu’est ce que c’est alors ?
CJ : L’objectif des Ecritures, c’est que tout humain ait la Vie en abondance. Et c’est pour cette Vie que les humains ont été créés. Dans mon passage préféré des lettres de Paul, il est dit à propos de la Bible : « Or, tout ce qui a été écrit à l'avance dans les livres saints l’a été pour nous instruire, afin que, grâce à la persévérance et au réconfort des Écritures, nous ayons l’espérance. » (Rm 15,4). Pour moi, la Bible est un livre contre la résignation, un livre de l’espérance et de la vie.

Taz : Cependant, on a l’impression que dans le débat sur l’homosexualité que la Bible suscite exactement le contraire que ce que vous dîtes. On a l’impression que beaucoup de chrétien.ne.s lisent la Bible de manière littérale et qu’ils ont peur de faire quelque chose de mal, quelque chose contre la volonté de Dieu.
CJ : Les peurs ne viennent pas de la Bible. Elles viennent des gens qui veulent créer des peurs et qui utilisent la Bible comme un instrument de domination. Les peurs sont créées par ces gens pour établir une image rigide de la « normalité ». Ils exercent une pression sociale contre toutes celles et tous ceux qu’ils définissent comme « autres ». Cela ne se produit pas seulement au niveau de la sexualité. Cette pression sociale se dirige vers tous ceux qui veulent autre chose que ce qui est délimité au nom de la Bible.

Taz : Qu’est ce que cela signifie dans un pays où vivent des athées et des membres d’autres traditions religieuses ?
CJ : Je me sens rapidement proche des membres d’autres religions, qui essaient de vivre dans le respect de la divinité, et qui placent l’amour du prochain et la compassion au centre de leur pratique, quelques soient les différences. Cependant, on trouve une proximité similaire entre les fondamentalistes de toutes les religions.  Ils peuvent aussi se mettre rapidement d’accord pour, chacun de leur côté, rejeter les « autres ». Ils sont unis dans leur mentalité patriarcale, leur misogynie et leur rejet de l’homosexualité.

Taz : Le déclencheur du débat actuel est le projet de programme scolaire au Baden-Württemberg (Land du Sud-Ouest de l’Allemagne, frontalier avec la France. Réputé conservateur, actuellement gouverné par une alliance Vert-PS, NDT), dans laquelle il est prévu d’apprendre aux élèves qu’il y a plusieurs manières d’envisager sa vie en dehors du modèle des relations hétérosexuelles. Est-ce-que l’on devrait se référer à la Bible dans ce contexte ?
CJ : Sur le fond, non. Et si on le fait malgré tout, avec beaucoup de nuance. Souvent cela se produit de manière superficielle, selon le principe du persil. Quand le rôti est prêt, on saupoudre avec un peu de persil, c'est-à-dire avec quelques citations bibliques. La Bible ne peut pas être invoquée comme renfort divin de ma propre autorité, souvent déficiente.  Le résultat est alors catastrophique, car on rebute ceux qui, pris de doute, avaient un réel intérêt pour la question.

Taz : Quand fondez-vous alors votre action en fonction de la Bible ?
CJ : Je peux expliquer pourquoi je comprends mon action en rapport avec la sagesse biblique, pourquoi les valeurs tirées de ma tradition chrétienne sont importantes, mais je ne peux pas invoquer la Bible comme un livre de loi faisant autorité. C’est pourquoi il est très important que nous réapprenions à connaître notre tradition biblique.  D’une part pour mieux comprendre notre histoire culturelle qui en est empreinte. Mais aussi parce que ceux qui se réfèrent à la Bible, aux « affirmations claires de la Bible », ne connaissent plus du tout la Bible.

Taz : Au début de notre entretien, vous avez dit que l’amour ne pouvait pas être un péché. Qu’est-ce-qu’un péché en fait ?
 CJ : En grec comme en hébreux, les mots que l’ont traduit par «péché » désignent toujours des injustices concrètes, entre humains et aussi vis-à-vis de Dieu. Paul accuse à maintes reprises les structures globales de l’injustice dans l’Empire Romain, dans lesquelles les gens sont impliqués. Il appelle à changer les actes d’injustice, et à se renforcer les uns les autres pour s’opposer à cette injustice. Le péché n’est pas compris de manière ontologique ou purement morale. C’est la tradition tardive qui a développé ce point de vue.