mercredi 29 mai 2013

Pour un féminisme catholique

On peut schématiquement identifier deux formes de féminisme : d'une part le féminisme essentialiste qui pense défendre la dignité des femmes en honorant ce qu'il considère être les particularités propre à « l'essence féminine », et d'autre part le féminisme universaliste qui affirme l'égalité des droits au sein du genre humain, et donc entre femmes et hommes. Un certain paradoxe apparaît alors. Le terme « catholique » est souvent traduit par « universel ». La branche du christianisme qui s'en réclame considère être héritière d'une tradition qui annonce la Foi chrétienne partout et pour tous. Or, la majorité de celles et ceux qui au sein du catholicisme se font les promoteurs des femmes essentialisent la « nature féminine », et par symétrie la « nature masculine ». Pourtant, on aurait pu s'attendre à ce que la parole révolutionnaire de Paul traverse et insuffle jusqu'à nous : « Il n'y a ni homme ni femme. Car vous ne faîtes qu'un dans le Christ Jésus.» (Ga 3,28).

Je souhaite à travers ce blogue illustrer un féminisme catholique, c'est à dire un féminisme universaliste qui s'enracine dans la foi chrétienne, la foi en la résurrection du Christ annoncée en premier par les femmes amies du Seigneur.

Ouvrir ce blogue me semble aujourd'hui nécessaire pour plusieurs raisons :
D'abord, personnellement, je me sens seul en tant que « féministe catholique ». On pourrait me rire au nez. « Bien sûr, c'est tellement étrange ! ». Nombre de féministes ont un fort ressentiment contre l'Eglise catholique. Elle est pour elles/eux une institution majeure du patriarcat. Et elles/ils ont raison, formellement. Tandis que les courants les plus conservateurs du catholicisme fusionnent une représentation inégalitaire des relations entre femmes et hommes (ce qu'elles/ils nomment leur « anthropologie », qu'ils prétendent « biblique ») avec le cœur de la foi chrétienne. Le mot « féminisme » est devenu pour elles/eux un de ces « -ismes » qui caractérisent les hérésies modernes, comme « matérialisme », « communisme », « relativisme », etc. Pour eux, s'en revendiquer revient quasiment à s'excommunier. Même parmi les plus progressistes des catholiques, on ne tolèrent finalement qu'un féminisme essentialiste. Des thèses de théologie qui pensent le genre à l'intérieur de la tradition catholique, comme celle d'Yvone Gebara, sont extrêment rares en langue française. Je suis extrêmement conscient de cette tension. Forcément, puisque je suis d'une part engagé auprès de collectifs féministes universalistes dans l'action pour l'égalité entre femmes et hommes, et d'autre part que je vis l'eucharistie avec la communauté chrétienne, au sens large, c'est à dire dans la liturgie bien sûr, mais aussi dans l'expérience de la charité vécue en lien avec la table eucharistique. Je me retrouve donc en quelque sorte écartelé entre deux communautés humaines qui se méfient l'une de l'autre. Pourtant, après plusieurs années à méditer et mûrir cet engagement féministe à la lumière de la foi chrétienne, je suis intérieurement en paix.
C'est justement la seconde raison de ce blogue : partager ma conviction et mon expérience qu'être féministe catholique, ce n'est pas être un veau à deux têtes. C'est au contraire une manière de vivre la foi chrétienne qui s'inscrit tout à fait dans la longue tradition des fidèles, et c'est une forme de féminisme qui assume pleinement l'égalité entre femmes et hommes, sans la détourner dans les faits au nom de « rôles naturels » des uns et des autres qu'il faudrait respecter. Je me propose donc de partager des textes à ambition théologique qui illustreront l'articulation entre la pensée féministe universaliste et la foi chrétienne, mais aussi des textes de méditation biblique pour essayer une respiration spirituelle féministe. Mon intention dans ces textes est ce que l'on m'a appris à propos du rôle du théologien : être au service de la communauté chrétienne pour l'aider à penser intelligiblement la foi chrétienne ici et maintenant.
Enfin, ce blogue s'ouvre dans une période politique particulière en France. Après presque dix mois de mobilisation contre le mariage pour tous, qui a été soutenu voire conduit par d'importants secteurs des églises chrétiennes, je constate une radicalisation inquiétante parmi les chrétiens contre l'homosexualité, mais aussi contre la « théorie du genre », et donc contre le féminisme universaliste. Quand cette mobilisation a commencé, je ne m'en suis pas inquiété. Comme beaucoup de monde, l'ampleur de ce mouvement m'a surpris. Surtout le lien que font les meneurs de ce mouvement entre « mariage pour tous » et « théorie du genre ». Comment les arguments mobilisés contre le « mariage pour tous » constituaient régulièrement une attaque contre le féminisme. Cela m'a fait comprendre que la « civilisation » que défendent celles et ceux qui refusent avec tant de violence le « mariage pour tous » est une civilisation anti-féministe. On voit d'ailleurs maintenant s'affirmer au sein du mouvement anti-mariage-pour-tous des arguments « masculinistes », de défense du rôle du père vu comme le garant de l'autorité, et autorisé à certaines formes de violence vis-à-vis de ses enfants comme de sa femme, tels que le film documentaire de Patrick Jean « la domination masculine » nous en avertissait du danger. Je crains donc qu'après la mobilisation contre le mariage pour tous, certains au sein de l'Eglise ne souhaitent organiser une croisade contre la théorie du genre et le féminisme. Il me semble alors d'autant plus important de faire entendre une voix fidèle qui affirme que le féminisme universaliste ne s'oppose pas à la vocation que le Créateur à confier à l'humanité, au contraire il y participe, puisqu'il participe à libérer des injustices et à promouvoir la dignité de chacun par l'émancipation. Cette voix est-elle prophétique ? C'est en tout cas ma vocation de baptisé que d'être prophète.

Une voix qui crie dans le désert ? Attitude prétentieuse et vaine ? J'espère l'inverse. Je crois ne pas être seul, même si j'en ai souvent l'impression. Je pense que beaucoup sont dans une situation d'entre deux semblable à la mienne. Beaucoup parmi les fidèles chrétiens voient bien qu'évidemment femmes et hommes sont égaux, qu'il y a autant, sinon plus, de différences physiques et cognitives entre hommes d'une part et entre femmes d'autre part qu'il y en a entre la moyenne des hommes et la moyenne des femmes. Beaucoup parmi celles et ceux engagés dans les mouvements féministes ne cessent de s'étonner que l'Eglise s'attache tant à survaloriser la différence des sexes alors que le commandement d'amour universel de Jésus-Christ se moque de cette différence, comme des autres différences que l'on peut utiliser pour diviser l'humanité. Je sais que beaucoup font un choix, souvent silencieusement, souvent même sans en être conscient: engagéés dans le féminisme qui cessent de fréquenter les lieux d'Eglise, parce que fatiguéés de se révolter contre les prises de positions scandaleuses de la part la plus démonstrative de l'Eglise ; ou bien fidèles fervents qui jamais ne font le pas de s'engager dans une action féministe, de crainte de se couper de la nourriture spirituelle que leur fournit la communauté. Au risque de l'invective ou de la moquerie de la part des féministes anti-religieux (dont je comprends la véhémence anti-religieuse), et de la part des catholiques qui confondent respect de la Tradition et défense du patriarcat, j'espère pouvoir être une aide à celles et ceux qui sentent bien que la ligne de crête est la voie étroite à la suite du Christ. Je serais heureux que ce blogue accueille le questionnement des uns et des autres, qu'il devienne un espace de dialogue.

6 commentaires:

  1. Juste merci d'avoir mis des mots sur ce que je pense et ressens. Et apparemment nous sommes au moins 2 mais je suis sure que nous sommes bien plus nombreux-ses à penser en ces termes. Merci de partager.
    Anna

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    1. Bonsoir

      Je me permets de vous recontacter j'aimerais échanger avec vous a propos du feminisme catholique mais je n'ai pas trouvé le moyen de vous contacter autrement qu'en publiant un commentaire. Y'a t'il un autre moyen si vous êtes d'accord pour échanger ? Anna

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    2. Bonsoir

      Je me permets de vous recontacter j'aimerais échanger avec vous a propos du feminisme catholique mais je n'ai pas trouvé le moyen de vous contacter autrement qu'en publiant un commentaire. Y'a t'il un autre moyen si vous êtes d'accord pour échanger ? Anna

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    3. vous pouvez me contacter à l'adresse suivante:
      pgastrein @ gmail.com

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  2. Juste merci d'avoir mis des mots sur ce que je pense et ressens. Et apparemment nous sommes au moins 2 mais je suis sure que nous sommes bien plus nombreux-ses à penser en ces termes. Merci de partager.
    Anna

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